Le Riche et le Pauvre

Non non il ne s'agit pas d'une fable de La Fontaine avec le pauvre triomphant de sa condition... mais bien de la triste réalité. Montréal est une ville réputée pour son ouverture, sa tolérance, son multiculturalisme, son éclectisme... Et pourtant !

Et pourtant, Montréal a une barrière entre les riches et les pauvres. Oui vous avez bien lu : une barrière. Non, pas une barrière psychologique et intangible : une clôture. Une clôture métallique. Ça vous choque ? Moi aussi. Qui eut crû que ce genre de mur puisse exister dans une société comme celle-ci ?

J’avais vaguement entendu parler de cette barrière, mais ce concept restait flou dans ma tête, et à vrai dire je ne croyais pas beaucoup aux dires concernant cette aberration. Il a fallu me rendre à l’évidence : en rentrant de l’aéroport mi-décembre, on a emprunté le boulevard longeant cette barrière… le boulevard est du côté pauvre bien sûr ! Cette barrière est étendue sur 2km environ, pour séparer le quartier de Ville Mont-Royal (VMR pour les intimes, c’est tout de suite plus classe !), l’un des plus riches de la ville, du quartier de Parc Extension, l’un des plus pauvres. Majorité de propriétaires, diplômés et autres dans le 1^er, majorité de locataires, échecs scolaires dans le 2^ème. Majorité touchant un salaire annuel dépassant largement les 6 chiffres dans le 1^er, majorité peinant à dépasser les 15,000$ annuels dans le second. La liste pourrait être longue ! Éloquent n’est-ce pas ? Visiblement, les 1^ers ont décréter que les 2^èmes pourraient leur apporter toutes sortes de maladies et de problèmes : ne pas se mélanger est donc la meilleure des défenses !

D’un côté, les magnifiques villas avec piscine et grosse voiture, dont je n’ose même pas imaginer le prix; de l’autre les immeubles à moitié décrépis et en très mauvais état. D’un côté, les magnifiques jardins et parcs verdoyants, de l’autre côté la misère, la grisaille et la tristesse. La preuve en image pour les plus sceptiques (et non ! ce n’est pas un montage !!) :

Alors, évidemment, sur les panneaux forts peu accueillants des quelques entrées dans la clôture, disent que c’est pour la sécurité des enfants, etc. Hahahaha ! Laissez-moi rigoler ! Franchement, est-ce que des imbéciles sont prêts à croire ces inepties ?? Et les enfants du quartier pauvre, eux peuvent traverser le boulevard dangereux, on s’en fout pas mal non de s’ils se font renverser ??

Que dire des clôtures fermées à clé le jour d’Halloween, pour empêcher les enfants pauvres d’aller quémander des bonbons aux gentils riches ?

La preuve toujours en image :

C’est scandaleux. À l’heure où certaines personnes intelligentes essaient de faire tomber les murs (et je ne parle pas que de Berlin !), que des bien-pensants vont dénoncer les atrocités qui se passent dans le monde, ces mêmes bien-pensants n’habiteraient-ils pas parfois dans ces enclaves ? Dans ces ghettos pour riches ? Dans ces bulles, dans ces refuges ?

Car oui, je crois malheureusement que notre société se fracture de plus en plus, le fossé se creuse pendant que des enclaves se créent : tandis que les riches sont toujours plus riches, pouvant se payer leur « sécurité », se construire de véritables barrières et de véritables bulles, les pauvres eux, sont toujours plus pauvres et toujours plus exclus. Comment dit-on déjà ? Ah oui, la fracture sociale. Eh bien, elle est bien fracturée la société !

C’est valable pour Montréal, mais en s’informant un peu on se rend compte que ce phénomène se banalise. Car oui, j’ai oublié de préciser, mais VMR avait plus ou moins instauré sa propre police privée avant que ces pratiques ne soient dénoncées. Donc, je disais, je trouve alarmant de constater que des quartiers entiers – domaine public on s’entend – soient privatisés et vendus aux mains (sales) des riches de l’immobilier. Cf. l’article du Courrier International : http://www.courrierinternational.com/article/2009/12/21/ville-privee-vie-controlee

Outre le fait que la liberté de circuler n’est même plus respectée, et qu’on se retrouve fliqué et contrôlé de partout,  force est de constater que l’on tend vers un mouvement où les plus riches vont se créer des quartiers entiers, avec leur propres lois, leurs propres polices, tout cela au nom de leur sacro-sainte « sécurité ». Ce sont eux aussi qui pourront partir de leurs bases privées dans leurs beaux jets privés en cas de catastrophe naturelle, de menace terroriste, etc. Leurs quartiers seront toujours plus luxueux, les HLM toujours plus délabrés. Les pauvres ? Qu’ils restent dans leur merde, on n’en veut pas chez nous et on évite les problèmes ! Belle philosophie à vrai dire. En plus du cas des quartiers privatisés du Royaume-Uni, je me rappelle avoir lu que le phénomène s’étend dans des villes entières aux États-Unis, que la France a des projets de multiplication de vidéosurveillance (qui va surveiller ? des polices privées et sans scrupules qui recherchent à tout prix un coupable? Et les véritables coupables ne sont pas bêtes, ils vont agir hors champ! Quoi l’exemple de Londres et son fiasco ne vous a pas servi de leçon ?).

A considérer que ceux qui nous gouvernent et font nos lois font bien souvent partie de cette élite conservatrice, a-t-on des raisons de s’inquiéter ? Je pense que oui. Certes, on peut bien vivre dans notre petit cocon et n’avoir aucune réalité de ce qui se passe en dehors. Mais se renfermer ne résout pas les problèmes et ne fait que les déplacer. En s’enfermant dans son gentil quartier, on ne résout pas la fracture sociale, on ne fait que l’accentuer. On ferait mieux de se concentrer sur des moyens efficaces pour réduire la misère, le chômage, de prendre le problème à la source et réussir à instaurer une classe moyenne solide, non ? Visiblement non, on préfère faire la politique de l’autruche et creuser encore plus le fossé entre riches et pauvres ! Quant à la classe moyenne, si ça continue comme ça, dans quelques décennies ce ne sera plus qu’un souvenir ! Quoi, moi pessimiste ? Réaliste plutôt…

M. La Fontaine, où donc est passée votre morale ?

1 lien intéressant concernant l’apartheid de Montréal :

http://omo-erectus.blogspot.com/2006/12/25-zone-libre.html

PS : j'ai bien conscience que de multiples initiatives solidaires se développent et fleurissent un peu partout, que de plus en plus de personnes sont "conscientisées" des problèmes sociaux, environnementaux, etc. Je n'ai qu'un désir : que ces initiatives se voient un jour récompensées par un réel changement dans la société. Je pense qu'au fond de moi, j'y crois. Simplement, j'ai du mal à évaluer leur impact réel en ce moment, j'ai l'impression que cela reste très marginal à l'échelle globale. Que pour le moment, ces initiatives n'ont pas assez d'envergure pour contrecarrer cette triste polarisation du monde, ce fossé qui se creuse chaque jour un peu plus entre les individus que l'on constate à l'échelle des villes, mais aussi des pays, des continents. Mais bon, je pense que si l'on ne fait rien ça ne risque pas de changer, alors autant essayer de faire quelque chose ! Comme dirait le grand Jean-Claude Dus : "on ne sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher !" Allez, essayons de finir sur une note positive...

Comments

[Marie L.]

J'allais écrire exactement la même chose que Maman: "La Zona" est une contre-utopie qui décrit ce qui est en train de se mettre en place... Ces put*** de barrières qui stigmatisent riches et pauvres, qui enfoncent le clou dans la porte du mal-être social et qui feront péter les plombs aux peuples.
Société, tu fous le camp!!!

C'est terriblement flippant! Mais qu'ont en tête les gens??? !!!

PS: tu trouveras mon billet sur "La Zona" sur mon blog. Mais mieux vaut voir le film avant...

[wildelupine]

après avoir lu ton article, je ne peux que vous conseiller de voir le film " la zona ". Cela ne remonte certes pas le moral, mais il décrit exactement ce que tu viens de décrire .. Quartier riche avec sa milice, gosses pauvres ... ce film m'avait serré le coeur ! un film poignant, beaucoup d'émotion .

[SC]

Entièrement d'accord.... et cette barrière m'a vraiment traumatisée... il a vraiment fallu le voir pour le croire... triste réalité...
Merci Liebe c'est vraiment ça ce que tu écris là...
Sick Sad World